Femme & informatique : quels défis pour 2024?

Cela fait bientôt 10 ans que je travaille dans le milieu de la tech. J’ai suivi des formations au développement web comme tu es peut-être en train de suivre (3WA, Simplon.co, Ada Tech School), pour finalement m’orienter plutôt vers la partie transmission, dans l’objectif de donner envie à des personnes de se former à ces métiers et à cette culture numérique.

Dès le début de mon parcours, je me suis rapidement rendu compte que c’était un milieu très masculin mais sans me poser plus de questions. Je n’ai jamais eu l’impression d’avoir été confrontée à des discriminations directes dû à mon genre, mais force est de constater que mes homologues féminines et mes apprenantes étaient loin d’avoir eu autant de chance dans leur parcours. Puis à force de discussions et en me refaisant le film dans ma tête, je me suis rendue compte que, sans avoir subi de violences directes, j’avais intériorisée beaucoup de choses et j’ai commencé à identifier certains mécanismes.

Aimant décortiquer le monde qui m’entoure et étant quand même directement concernée, j’ai commencé à me renseigner et à faire des recherches sur la question des femmes et de la tech. J’ai de la chance, j’ai commencé à une époque où des centaines de femmes avaient déjà ouvert la voie depuis de bien nombreuses années et il était donc facile de trouver des informations.

Que tu sois étudiant·e dans un métier technique du numérique, professionnel·le du secteur, quelque soit ta position ou ton niveau, une entreprise qui réfléchit aux questions d’inclusion de genre dans sa structure, ou tout simplement un·e simple curieuse ou curieux, cet article va t’intéresser.

Pourquoi ? Tout simplement parce qu’on s’en rende compte ou pas, les questions d’inclusion de genre influencent déjà directement ta profession et/ou tes collaborateur·rice·s.

L'avenir des femmes dans l'informatique, by tyler Spangler

Commençons par le commencement comme on dit. Pour savoir où on va, il faut déjà savoir d'où l'on vient. Reprenons déjà le constat de base :

  • Où en est la question de l’égalité des genres dans la Tech ?
  • Quelles sont les origines de ces disparités ?
  • Est-ce que des solutions existent déjà pour lutter contre ces inégalités ?
  • Et surtout, quels sont les prochains défis à relever pour œuvrer à faire évoluer ce monde dans la bonne direction ?

Un constat historique

Aux débuts (pas si anciens) de l’informatique, dans les années 1970, il n’y avait pas vraiment d’études pour accéder à ces métiers. Les premières personnes qui ont fait de l’informatique étaient des femmes qui ont appris à utiliser ces machines en autodidactes. Dans les esprits à cette époque, l’informatique était avant tout une histoire de langage, donc une histoire de femmes non (histoire de rester dans les stéréotypes) ?

En gagnant en popularité et en influence dans les années 1980, notamment par l’apparition des micros-ordinateurs dans les entreprises, on s’est aperçu que ce milieu avait une valeur économique forte. L'informatique est alors devenu le secteur professionnel par excellence. Etant donné qu’à l’époque, l’emploi était surtout une affaire d’hommes, les femmes étant encore destinées à des métiers d’appoint, cette branche s’est masculinisée d’instinct.

Isabelle Collet l’explique très bien dans son livre “Les Oubliées du numérique”. Dans les faits, le nombre de femmes n’a pas diminué comme on pourrait le penser, c'est le nombre d’hommes à s’engager dans ces filières qui a augmenté (on passe de promotions de 30 étudiant·e·s en moyenne à 100 étudiant·e·s dans les métiers techniques à l’université).


Assez rapidement, comme en Angleterre par exemple, les femmes (malgré leurs années d’expérience) se sont retrouvées soit licenciées pour laisser la place à des hommes, soit à devoir apprendre leur métier à leurs nouveaux chefs.

C’est ainsi qu’on a perdu la mémoire et que l’histoire a invisibilisé les femmes...

Un constat chiffré

Il existe des études et des chiffres très parlants sur ce sujet.

Dans les métiers du numérique :

  • Seul 26% des jobs dans l'informatique (toutes disciplines confondues) dans le monde sont occupés par des femmes
  • Le taux de démission des femmes avant 35 ans dans les métiers de l'informatique est de 53%.

Dans le monde de l’entreprenariat :

  • 5% des équipes fondatrices de start-up en France sont des équipes 100% féminines et 10% des équipes fondatrices sont mixtes.
  • Depuis 2008, les startups 100% féminines n'ont attiré que 2% du total des montants investis.

Je t'imagine déjà te dire : “super, merci Julie pour la dose de déprime… mais du coup maintenant on fait quoi ?”. Pas de panique ! Bien que ce constat puisse paraître démoralisant, nous en sommes à un moment de l’Histoire où ce déséquilibre probant a l’avantage d’être clairement identifié et reconnu. Maintenant qu’on connaît le mal, on peut œuvrer à le traiter :) Surtout quand on se rend compte que ces pertes dont je parle ne sont ni rationnelles ni pragmatiques pour les entreprises et le milieu professionnel.

Les femmes oubliées de l'histoire de l'informatique, by louxosenjoyables

Un constat paradoxal

Le fait d'avoir, à l’époque, licencié ou invisibilisé une main d'œuvre compétente pour la remplacer par une "moins qualifiée" est un non-sens et une perte en termes d’efficacité et de rentabilité.

La diversification des sexes, profils et compétences est un facteur de performance. Elle permet d’additionner des talents et des ressources variées, et est un moteur de créativité et d’innovation.

L’étude menée par Sodexo en 2018 auprès de 50 000 responsables de 70 entités au niveau mondial montre que les équipes avec une véritable mixte obtiennent de meilleurs résultats, tant en termes de marge financière que de fidélisation des collaborateur·trice·s et des client·e·s.

Le rapport de l’International Labour Organization de mai 2019 “Women in Business and Management : The business Case of change” démontre que les trois quarts des sociétés ayant une stratégie relative à l’égalité femme-homme rapportent un profit en hausse de 5 à 20% avec une majorité située entre 10 et 15%.

Selon la dernière étude menée par BCG aux Etats-Unis s’intitulant “Pourquoi les start-ups possédées par des femmes sont un meilleur pari”, les start-ups co-fondées par des femmes auraient un meilleur rendement. Selon le cabinet d'études, pour un dollars investi, les fonds récupèrent 0,78 centimes pour une startup féminine contre 0,32 centimes pour une startup masculine.

Relever de nouveaux défis pour une équité homme-femme dans l'informatique

Tous les jours, on voit naître de nombreuses actions engagées par des écoles, des entreprises, pour inciter les femmes à intégrer le secteur de l'informatique et briser ce plafond de verre… alors pourquoi est-ce qu’on en parle encore ?

Parce que la problématique est beaucoup plus complexe qu’elle n’y paraît ! Le défi à partir de maintenant est de prendre en compte cette complexité et de construire des solutions encore plus complètes et adaptées à tou·te·s.

Les nouveaux défis pour plus de femmes dans l'informatique

L’intersectionnalité

Mieux comprendre les discriminations pour mieux les combattre

Il est très important aujourd’hui de prendre en compte l’intersectionnalité, qui rend les barrières encore plus difficiles à franchir. Avant d’aller plus loin, prenons deux minutes pour expliquer ce terme.

Bien que le terme “intersectionnalité” soit apparu uniquement en 1989 par la juriste, professeure de droit et Blacktivist Kimberlé Crenshaw, il désigne un problème bien plus ancien et la façon complexe dont différentes formes de discriminations se croisent et interagissent entre elles.. Un peu comme un accident de voiture : “Il peut être causé par des voitures venant d’une certaine direction, ou allant dans une autre, et parfois par des voitures venant de toutes les directions.

Encore une fois, les chiffres ne mentent pas :


Dans ces 26% de femmes travaillant dans les métiers techniques du numérique dont je parlais plus haut dans l’article, seulement 3 à 2% sont des femmes d’origine africaine ou hispanique.

Il ne s’agit pas de voir toutes ces discriminations comme des accumulations mais plutôt d’étudier et de comprendre la manière dont elles interagissent entre elles. Dit comme ça, tout parait logique. Le monde tel qu’on le perçoit n’étant pas linéaire, pourquoi la construction des discriminations échapperait-elle à cette complexité ? Prendre en compte ces situations particulières permet de mieux les comprendre et donc de mieux les combattre.

  • Seulement 67% des femmes de couleurs se voient poursuivre une carrière dans l'informatique, contre 79% des femmes blanches.

mais

  • Dans les environnements professionnels plus inclusifs, ce chiffre grimpe à 92%.
  • Dans les environnements à la culture inclusive, la possibilité pour les femmes d'être promue manager après 30 ans augmente à 61%

et

  • Pour les femmes de couleur cette probabilité augmente jusqu’à 77%.

Cette intersectionnalité peut s’élargir à toutes les oppressions.

Seulement 35% des personnes LGBT+ se disent épanouies au travail dans des environnements professionnels où l’inclusion n’est pas un axe important de l’entreprise, contre 83% dans des environnements professionnels à la culture inclusive.

Si ces changements se multiplient et si l’inclusion devient un véritable axe pour toutes les entreprises, on pourrait avoir jusqu’à 3 millions de femmes en plus dans la tech d’ici 2030, soit 1,4 millions de plus que si l’évolution vers une plus grande équité continue telle qu’elle est aujourd’hui.

Comment faire en sorte que les femmes restent et fassent carrière dans les métiers de l'informatique ?

Donner envie aux femmes de rester dans l'informatique grâce à l'inclusion

Comme on l’a vu plus haut, il ne s’agit pas seulement d’encourager les femmes à s’engager dans cette voie et de les pousser vers l'informatique, il s’agit aussi de créer l’environnement qui leur donnera envie de rester faire carrière. Heureusement, plusieurs solutions sont identifiées et sont faciles à mettre en place :

  • Permettez aux deux parents d’avoir un congé maternité/paternité à durée égale : afin que les femmes ne se retrouvent plus discriminées sur la question de la maternité, il faut que les hommes et les femmes soient sur un pied d’égalité en ce qui concerne les congés parentaux. cela doit être la règle, et non pas l'exception.
  • Mettez en avant des roles modèles senior travaillant dans l'informatique dans votre entreprise : plus votre board/team dirigeante fera preuve de diversité, plus vous aurez d’employé·e·s qui se sentiront légitimes à postuler, venir et rester.
  • Faites des groupes et/ou des réseaux professionnels réservés aux femmes : cela peut paraître contre-productif, mais il ne faut pas oublier que le terrain de jeu est inégal de base. Ces groupes permettent aux femmes de trouver des mentors, des sponsors et de rencontrer un réseau de femmes employées à qui s’identifier et avec qui partager.
  • Mettez en avant la créativité et l’innovation : mettre en avant uniquement les compétences techniques peut décourager un public féminin (#censuresociale). Vous aurez plus de femmes qui postulent et qui restent en valorisant d’autres compétences en parallèle de celles-ci.

Choisir d’oeuvrer pour l’égalité homme-femme est une décision politique


« Il ne s’agit pas uniquement de partager le savoir scientifique, mais peut-être d’abord et avant tout de partager le pouvoir : avoir le sentiment […qu’on peut] agir sur leur développement, choisir les orientations de la recherche, exercer [… son] pouvoir de décision sur le développement de la technoscience. » (Jean-Marc Lévy-Leblond, 2008, “A quoi sert la sciences”)

Depuis quelques années, le monde s’agite, se remue et évolue dans le bon sens. Des écoles, des institutions et des entreprises mettent en place des leviers d’actions pour faire bouger ce fameux plafond de verre.

C’est un combat loin d’être gagné, et qui ne s’arrêtera jamais. Les succès sur le chemin sont fragiles et pas toujours pérennes, mais ils font avancer les choses.

C’est ce qui est rassurant et encourageant : le genre se caractérise justement par des comportements socialement construits (et hérités historiquement). Ce sont ces comportements qui ont jusqu’ici défini des postes et des compétences comme féminins ou masculins, et qui ont laissé une inégalité s’installer & ont crée une dynamique de pouvoir.

prendre des décisions pour les femmes dans l'informatique

Si ce sont des préjugés, des stéréotypes et des croyances qui ont été construits, cela veut dire qu’on peut les déconstruire et changer la-dite dynamique ( #breakthewheel).

Ces changements peuvent paraître énormes, faire peur, mais je vous assure que tout le monde en bénéficiera. En effet, ce qui est formidable avec l’inclusion, c'est qu'elle profite à tout·e·s : un environnement inclusif pour les un·e·s le devient automatiquement pour les autres. Et ces messieurs ne seront pas en reste ! Dans les universités plus inclusives, 88% des élèves masculins se dirigent vers des métiers de l'informatique contre 69% dans une université à la culture moins inclusive.

De plus, l'informatique est un des meilleurs milieux pour montrer l’exemple.
En moyenne, les femmes touchent 80% du salaire d’un homme à poste égal. Dans l'informatique, on a observé que cet écart diminue jusqu’à 87%. L'écart existe donc toujours, mais les salaires étant meilleurs et l’écart plus petit, les femmes ont plus à y gagner.

Un monde divers a besoin de technologies pensées et créées par une diversité de personnes.

Il existe bien entendu d’autres enjeux en parallèle de ceux que je viens de présenter, notamment autour de l’intelligence artificielle… mais cette histoire sera pour une autre fois ;) Si tu veux en savoir plus, creuser le sujet, n’hésite pas à consulter les sources ci-dessous.

Et n'hésite pas à me dire si cet article t’as inspiré ? C’est quoi pour toi les prochains enjeux et défis à relever ?

Sources :

À propos d'Ada Tech School

Ada Tech School est une école d’informatique inclusive, qui forme au métier de développeur·se en 21 mois. Elle a trois campus : Paris, Nantes et Lyon. Au sein de l'école, les apprenant·e·s apprennent en faisant grâce à une pédagogie alternative inspirée de Montessori, approchant le code comme une langue vivante et favorisant la collaboration et l’entraide grâce à des projets collectifs. L’école doit son nom à Ada Lovelace, qui fut la première programmeuse de l’histoire.

Après neuf mois de formation, les apprenant·es sont opérationnel·le·s et prêt·e·s à réaliser leur apprentissage - rémunéré - pendant douze mois dans une des entreprises partenaires de l’école (Trainline, Deezer, Blablacar, JellySmack, Back Market...).

Aucun pré-requis technique n’est exigé pour candidater. Il suffit d’avoir plus de 18 ans. La sélection se fait en deux temps : formulaire de candidature puis entretien avec une réponse sous 2 semaines. Pour plus d’informations sur la formation, télécharge notre brochure de présentation.