Femmes & Open Source : pourquoi leur participation reste faible et comment la booster
L’open source est le socle du numérique moderne : il alimente le web, les applications et même l’intelligence artificielle. Mais si son nom évoque l’ouverture et la collaboration, il reste un espace où la diversité peine à s’imposer.
Les femmes ne représentent qu’environ 10% des contributeur·rices. Pourquoi une telle sous-représentation ? Et surtout, comment créer les conditions pour que l’open source devienne réellement inclusif ?
1. C'est quoi, l'Open Source ?
L’Open Source désigne des logiciels dont le code est ouvert et accessible : chacun·e peut l’étudier, l’utiliser, le modifier et le partager librement. C’est un modèle collaboratif essentiel à Internet tel qu’on le connaît aujourd’hui.
Concrètement, cela signifie que des milliers de personnes, souvent bénévoles, contribuent ensemble à améliorer des outils utilisés partout dans le monde. Parmi les exemples les plus connus : Linux, Firefox, Python, VLC, ou encore TensorFlow, largement employé en IA. L’Open Source n’est donc pas un sujet de niche : il structure une immense partie du numérique moderne.
La collaboration se fait principalement sur des plateformes comme GitHub, qui permet de proposer des améliorations, de corriger des bugs ou de documenter un projet. Pour beaucoup de développeur·ses, contribuer à l’open source est aussi une manière de se former, de se rendre visible professionnellement et de rejoindre une communauté.
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2. Une participation féminine encore marginale
Les chiffres le confirment : la place des femmes dans l’open source reste extrêmement faible : selon la GitHub Open Source Survey, elles ne représentent que 9% des contributeur·rices à des projets libres dans le monde.
Ce n’est pas un problème de compétences : les femmes issues d’écoles d’informatique ou de bootcamps maîtrisent le même socle technique que leurs pairs. C’est un problème d’accès et de perception. En effet, les contributrices se sentent plus souvent illégitimes, moins encouragées à publier, et davantage exposées à des retours négatifs ou à du harcèlement.
Autrement dit : la barrière n’est pas technique, mais culturelle.
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3. Des freins culturels et structurels puissants
Une culture de la compétition plutôt que de la collaboration
L’open source s’est historiquement construit sur un modèle méritocratique : le code prime, la réputation se bâtit à la force des pull requests. Cette logique de compétition et de visibilité, valorisant la prise de parole publique, tend à désavantager les profils minorisés.
Plusieurs travaux ont mis en évidence l’impact des comportements hostiles sur la participation des femmes dans l’open source. L’étude The Gender Gap in Open Source Software (Ford et al., 2016), montre que 21% des contributrices déclarent avoir déjà subi un comportement non professionnel (hostilité, condescendance, sexisme).
La GitHub Open Source Survey (2017) va dans le même sens : 18% des personnes interrogées disent avoir été confrontées à des comportements harcelants ou discriminatoires, les femmes y étant plus exposées que les hommes. Ces dynamiques ont un effet direct sur l’autocensure, la confiance et la persévérance dans les projets open source.
Des biais implicites dans l’évaluation du code
Enfin, même lorsque les contributions féminines sont publiées, elles ne sont pas toujours évaluées de la même manière. Une recherche menée sur plus de 3 millions de pull requests de 330 000 utilisateur·rices GitHub par une équipe de la North Carolina State University montre que le code soumis par des femmes est, en moyenne, accepté plus souvent que celui des hommes (78,6% contre 74,6%) lorsque leur genre n’est pas directement identifiable (étude PeerJ).
En revanche, pour les contributrices extérieures au projet dont le genre est visible sur le profil, leur taux d’acceptation chute nettement, tandis que celui des hommes ne baisse que légèrement. Autrement dit, le même code n’est pas jugé de la même manière selon que la contributrice est perçue comme femme ou non.
4. Pourquoi la diversité dans l’Open Source est essentielle
L’enjeu dépasse la seule égalité : l'impact positif de la diversité sur la performance technique est aujourd’hui largement documenté. Par exemple, une analyse de McKinsey (2020) montre que les entreprises ayant une forte diversité de genre dans leurs équipes ont 25 % de chances supplémentaires de surperformer financièrement par rapport à leurs concurrentes (McKinsey – Diversity Wins).
De leur côté, plusieurs études soulignent que les équipes diversifiées ont tendance à produire des logiciels mieux documentés, plus fiables et plus représentatifs des besoins utilisateurs, notamment grâce à la diversité de perspectives dans la conception et la revue de code. Ces résultats ne portent pas exclusivement sur l’open source, mais ils illustrent un point essentiel : la diversité améliore la qualité du logiciel, la collaboration et la capacité d’innovation.
La diversité joue aussi un rôle clé dans la sécurité. Des équipes homogènes ont tendance à négliger certains cas d’usage ou à ignorer des vulnérabilités liées aux biais. L’inclusion est donc une exigence technique, autant qu’éthique.
Enfin, sur le plan humain, l’Open Source est souvent une porte d’entrée vers l’emploi : il permet de constituer un portfolio, d’apprendre en autonomie, et de se faire repérer par des entreprises. En excluant les femmes de cet espace, on les prive d’un levier d’employabilité majeur.
5. Comment encourager plus de femmes à contribuer
Pour inverser la tendance, il faut agir sur plusieurs leviers : individuels, communautaires et structurels.
Côté communautés Open Source
- Adopter des codes de conduite clairs, et surtout appliqués.
- Former les mainteneur·ses à l’évaluation inclusive du code.
- Valoriser la documentation, la pédagogie et la communication, souvent assurées par des profils féminins, au même titre que la contribution technique.
- Mettre en avant des rôles modèles visibles dans les conférences, meetups et plateformes.
Côté institutions et entreprises
- Intégrer la contribution open source dans les parcours de formation (notamment en école ou en reconversion).
- Valoriser ces contributions dans les recrutements : reconnaître qu’un commit open source vaut une expérience professionnelle.
- Financer des bourses et programmes d’inclusion, à l’image d’Outreachy ou des bourses Lovelace de la Fondation Ada Tech School.
Côté apprenantes et reconverties
- Commencer petit : corriger une faute de frappe dans la doc, signaler un bug, proposer une traduction.
- Rejoindre des projets bienveillants (Django, Mozilla, Open Food Facts, etc.) pour gagner en confiance.
- S’entourer : le mentorat et la sororité restent les meilleurs remparts contre l’autocensure.
Conclusion
L’Open Source se veut libre, ouvert, collaboratif... mais sans diversité, il reste inachevé ! Favoriser la participation des femmes, ce n’est pas “faire de la mixité” pour l’image, c’est améliorer la qualité, la stabilité et l’éthique du numérique tout entier.
Encourager les femmes à contribuer, c’est leur donner accès à un espace d’apprentissage, d’influence et de légitimité. C’est aussi permettre à la tech de se réinventer à travers des perspectives nouvelles.
La Fondation Ada Tech School s’engage à promouvoir cet accès, en soutenant la formation, la visibilité et la confiance de toutes celles qui veulent prendre part à la construction du code libre.
À propos de la Fondation Ada Tech School
Créée en 2023 sous l’égide de la Fondation Agir Contre l’Exclusion (FACE), la Fondation Ada Tech School soutient des projets favorisant l’accès des femmes et des publics sous-représentés aux métiers du numérique.
Elle finance des bourses d’études, organise des ateliers de sensibilisation et encourage la contribution open source comme vecteur d’apprentissage et d’inclusion.