Qu'est-ce-que le syndrome de la Schtroumpfette ?

Dans la famille des syndromes sexistes, je demande… la Schtroumpfette !

Après le syndrome de la bonne élève, focus sur un phénomène qui touche à la représentation des femmes dans la fiction.

Ou plutôt… à leur sous-représentation, à leur mal-représentation.

En effet, le syndrome de la Schtroumpfette désigne avant tout la tendance des œuvres de fiction à ne représenter qu’un unique personnage féminin face à de multiples protagonistes masculins.

Mais ce n’est pas tout. Loin d’être "l’élue", la figure féminine colporte avec elle une ribambelle de stéréotypes misogynes. Souvent dépourvue de profondeur narrative, elle n’existe que par et pour les hommes. Elle sera volontiers l’épouse, l’assistante, la demoiselle en détresse, la beauté fatale.

Car les frontières entre la fiction et la réalité sont poreuses, le syndrome de la Schtroumpfette est le miroir des enjeux féministes qui traversent notre société.

Savoir identifier lorsqu’une œuvre relève du syndrome de la Schtroumpfette, c’est emprunter le chemin de la déconstruction des stéréotypes sexistes.

Tu découvriras dans cet article qu'il est facile de le déceler, et surtout, qu'il ne s'agit pas d'une fatalité. De plus en plus d’initiatives engagées sont mises en place aujourd’hui pour le contrer !

D’où vient le syndrome de la Schtroumpfette ?


Tu connais certainement les Schtroumpfs, ces petites créatures bleues emblématiques créées par le dessinateur Peyo. Si l’on te demandait de citer les personnages, tu pourrais nommer le Schtroumpf à lunettes, le Schtroumpf paresseux, le Schtroumpf grognon… Côté masculin, il en existe plus d’une vingtaine.

Mais qu’en est-il du côté féminin ? La réponse est simple : il n’y en a qu’une. Tu l’auras deviné, il s’agit de la Schtroumpfette. La Schtroumpfette rêveuse ? La Schtroumpfette fleuriste ? Non, la Schtroumpfette tout court. Ce personnage n’incarne rien d’autre que son suffixe féminin. Elle est la seule femme présente dans un village d’hommes. Elle est définie par son sexe.

Pour parachever la logique sexiste du personnage, tu ne seras pas surpris·e d’apprendre qu'elle a été conçue par Gargamel pour semer la zizanie dans le village. D’abord laide et méchante, elle a été "remodelée" dans le laboratoire du Grand Schtroumpf afin d’en ressortir belle et gentille. Enfin, tous les Schtroumpfs sont amoureux d’elle et elle jouit d'une réputation de capricieuse.

La Schtroumpfette incarne donc tout un lot de stéréotypes sexistes.

Le principe de la Schtroumpfette 

Comment définir le syndrome de la Schtroumpfette ?


Ce phénomène a été relevé et baptisé "Smurfette principle" par la critique américaine Katha Pollitt. En 1991, elle écrivait dans un article du New York Times :

Les séries télévisées récentes ont souvent seulement des personnages masculins, comme Garfield, ou sont organisées selon ce que j'appelle le syndrome de la Schtroumpfette : un groupe de copains, accompagnés d'une seule femme, en général définie de manière stéréotypée… Le message est clair. Les garçons sont la norme, les filles la variation ; les garçons sont centraux quand les filles sont à la périphérie ; les garçons sont des individus alors que les filles sont des stéréotypes. Les garçons définissent le groupe, son histoire et ses valeurs. Les filles existent seulement dans leur relation aux garçons.

Le syndrome de la Schtroumpfette désigne la tendance à sur-représenter les protagonistes de sexe masculin, de manière volontaire ou inconsciente, au détriment des protagonistes de sexe féminin. Le phénomène se traduit souvent par la présence d’une unique fille dans un groupe de garçons. Les femmes représentent pourtant 50% de la population mondiale... Absurde, non ?

À travers ce prisme de lecture, il est impossible de ne pas réaliser à quel point le syndrome de la Schtroumpfette règne dans le monde audiovisuel. La domination masculine dans les œuvres de fiction est une réalité banalisée, qui se trouve de plus en plus largement pointée du doigt.

On pensera, pêle-mêle, à Bianca Castafiore dans les bandes dessinées des Aventures de Tintin, aux premiers opus de Star Wars avec la princesse Leia, ou encore à Penny dans la série The Big Bang Theory.

Bien qu’il ait initialement été dédié à la sous-représentation féminine, le principe peut aisément s’élargir à d’autres groupes discriminés. Les personnes racisées, handicapées ou homosexuelles sont elles aussi souvent minoritaires, anecdotiques, voire fétichisées.

Le test de Bechdel-Wallace : un indicateur du syndrome de la Schtroumpfette

Théorisé en 1985 par Alison Bechdel et Liz Wallace dans la BD Lesbiennes à suivre, ce test permet de mettre en lumière la place secondaire accordée aux femmes dans la fiction. Tu pourras trouver sur le site collaboratif bechdeltest.com une liste de films répertoriés, et y ajouter les tiens si tu le souhaites.

Les trois questions à se poser sont les suivantes :

  • Y a-t-il au moins deux personnages féminins portant des noms ?
  • Ces deux femmes se parlent-elles ?
  • Leur conversation porte-t-elle sur autre chose qu’un homme ?

Si les réponses sont négatives, l’indicateur vire au rouge. Cela signifie que les protagonistes féminins perpétuent les stéréotypes de genre et que l’on a affaire au syndrome de la Schtroumpfette. Si les réponses sont positives, l’œuvre passée au crible du test de Bechdel-Wallace a su déjouer certains pièges sexistes – mais pas tous.

Pour compléter cet outil, citons le test de Mako Mori, dont les critères sont les suivants :

  • Le film a-t-il au moins un personnage féminin ?
  • Ce personnage a-t-il son propre arc narratif ?
  • La femme est-elle le faire-valoir d'un personnage masculin ?

Pour aller encore plus loin et illustrer l’absurdité du rôle des femmes dans les films, la scénariste Kelly Sue DeConnick a pensé le test de la lampe sexy. Elle propose de remplacer un personnage féminin par une lampe, afin de voir si l'histoire est modifiée… Les blockbusters Skyfall, Superman: Man of Steel ou encore Gatsby le Magnifique échouent haut la main.

Le test de Bechdel-Wallace dans la BD Lesbiennes à suivre 

Le syndrome de la Schtroumpfette incarne la domination masculine


Il serait naïf de croire qu’une simple démultiplication des personnages féminins suffirait à contrer ce phénomène. Dix Schtroumpfettes plutôt qu’une n’alimenteraient pas vraiment la cause féministe, ni l’égalité des sexes. L’enjeu ne réside pas dans la quantité, mais dans la qualité du traitement des personnages.

Il faut, alors, créer des êtres fictionnels féminins complexes, dotés de personnalités riches. L’un des écueils est de simplement transposer les stéréotypes viriles sur un personnage féminin, afin d’en faire une « femme forte ». En effet, les normes genrées sont solidement ancrées dans nos cultures comme dans l’inconscient collectif. Pour en sortir, il s’agit de tout déconstruire, de dissoudre les schémas existants pour libérer la fiction du joug patriarcal.

La domination masculine est tellement ancrée dans nos inconscients que nous ne l’apercevons plus, tellement accordée à nos attentes que nous avons du mal à la remettre en question. Plus que jamais, il est indispensable de dissoudre les évidences et d’explorer les structures symboliques de l’inconscient androcentrique qui survit chez les hommes et chez les femmes. Quels sont les mécanismes et les institutions qui accomplissent le travail de reproduction de ’’l’éternel masculin’’ ? Est-il possible de les neutraliser pour libérer les forces de changement qu’ils parviennent à entraver ?
Pierre Bourdieu, Le Monde Diplomatique, 1998

Les conséquences sociétales du syndrome de la Schtroumpfette


Avant de parvenir à neutraliser les responsables de ces inégalités, il est important d’en comprendre les enjeux. Les stéréotypes sexistes dans la fiction ne sont pas scandaleux par principe. Ils le sont car la culture est la nourriture de l’esprit. Ainsi, comment éduquer et s’éduquer au féminisme si la majorité de la production audiovisuelle véhicule des schémas sexistes ? Les conséquences ne sont pas anodines.

L’absence de rôle modèles

Tout d’abord, l’absence de représentation féminine est synonyme d’absence de rôles modèles auxquelles les femmes peuvent s’identifier. À l'écran, une fille risque davantage de voir ses semblables dans des postures subalternes, voire humiliantes. Un garçon, lui, contemplera les prouesses des hommes, explorateurs, puissants, conquérants. Les clichés sexistes conditionnent les mentalités et les carrières des plus jeunes, pour le meilleur et pour le pire.

Le manque d’inclusivité

Ensuite, les œuvres relevant du syndrome de la Schtroumpfette ne permettent pas de représenter la sororité, la diversité, ni l’égalité. Elles adoptent majoritairement le point de vue d’hommes hétérosexuels, valides, blancs. Les femmes ne sont pas solidaires entre elles, mais rivales. De plus, elles ne sont légitimes qu’en incarnant certains fantasmes masculins. De nombreuses femmes sont ainsi exclues du paysage audiovisuel et se sentent en marge de la société.

L’omniprésence du male gaze

Enfin, la surreprésentation masculine dans la fiction perpétue ce que la militante féministe et cinéaste anglaise Laura Mulvey a baptisé le « male gaze ». Le concept de male gaze désigne la manière dont le regard masculin s’impose dans la culture visuelle dominante. Il sexualise et objectifie les femmes qu’il représente. Dénudées ou langoureuses sans motif, les femmes sont les marionnettes d’un spectacle voyeuriste. La façon dont elles sont représentées possède un rôle central dans la perpétuation des violences sexuelles hors des écrans. Leur redonner une fonction de sujet et non plus d’objet est donc nécessaire, aussi bien dans la réalité que dans la fiction.

La sororité contre le syndrome de la Schtroumpfette - Source

Syndrome de la Schtroumpfette : de la prise de conscience au passage à l’action

Interpeller et éveiller les consciences pour abolir les stéréotypes sexistes, c’est ce à quoi s’évertuent certaines femmes, artistes, illustratrices, réalisatrices ou encore romancières. Car qui mieux que les femmes elles-mêmes pourra rendre justice au "sexe faible" ?

Si la majorité des films ne passent pas le test de Bechdel, c’est peut-être que les femmes sont aussi sous-représentées devant que derrière la caméra. Selon une étude du Celluloid Ceiling, en 2020, 16% des 100 premiers films du box-office américain ont été réalisés par des femmes, pour 4% seulement en 2018.

L’actrice Geena Davis a fondé un institut d'études sur la représentation des femmes à l'écran, afin de continuer à dénoncer le sexisme prégnant Outre-Atlantique malgré #MeToo. Et Reese Witherspoon est en croisade contre le syndrome de la Schtroumpfette.

En France, une étude du CNC révèle qu’en 2019, 40% des premiers films produits sont réalisés ou co-réalisés par des femmes, un record pour la décennie. Si les progrès sont lents, ils sont bel et bien présents. Du réinvestissement cinématographique des femmes résulte la floraison d’un « female gaze », bienveillant et inclusif.

Le female gaze contre le syndrome de la Schtroumpfette

À l’opposé du male gaze, le female gaze s’attèle à représenter les femmes dans toute leur complexité. Il propose un nouveau regard sur les corps, les expériences, les sexualités et les histoires des protagonistes. Avec le female gaze, la femme-sujet s’oppose à la représentation de la femme-objet.

Les séries contemporaines font un pied de nez au syndrome de la Schtroumpfette. On citera les prisonnières d’Orange is the new black, la championne d’échecs du Jeu de la Dame, les catcheuses de Glow ou encore les lesbiennes dans The L Word. Tu peux aussi jeter un œil à notre top 10 de documentaires féministes.

Du côté du septième art, l’idée semble avoir fait son bout de chemin également. Des films s’offrent un casting presque exclusivement féminin, comme Ocean’s 8 ou SOS Fantômes. Star Wars s’attèle à diversifier son casting féminin, et même le film Les Schtroumpfs accordent enfin des consœurs à la fameuse Schtroumpfette.

Des films empreints de female gaze marquent les esprits et raflent des prix : Mustang de Deniz Gamze Ergüven ou Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma. Ce dernier a notamment reçu la Queer Palm en 2019, un prix LGBT qui valorise l’inclusivité au festival de Cannes. Le prix n’a néanmoins pas encore été officiellement intégré au palmarès. Il n’en reste pas moins qu’il incarne une initiative encourageante, destinée à mettre à mal le syndrome de la Schtroumpfette !

Illustration de Pénélope Bagieu dans la BD Culottées - Des femmes qui ne font que ce qu'elles veulent

La syndrome de la Schtroumpfette, au-delà de la fiction

Le syndrome de la Schtroumpfette ne se cantonne pas à la fiction.

Que ce soit dans la culture, les sciences, les sports, l’Histoire est une affaire d’hommes. Les femmes n’ont que peu accès aux postes de pouvoir, à la recherche ou aux prix Nobel. L’effet Matilda dénonce et corrige cette invisibilisation.

Savais-tu que le métro parisien était également le miroir du syndrome de la Schtroumpfette ? Sur 302 stations, la seule à rendre hommage à une femme est la station Louise Michel sur la ligne 3. Avec sa carte du métro alternative Métroféminin, l'artiste Silvia Radelli fantasme une réalité parallèle.

Le syndrome de la Schtroumpfette règne aussi dans le monde professionnel, et notamment dans celui de la tech. Dans les écoles d’ingénieurs comme dans les entreprises, il est courant d’être "la" fille de la promo ou de l’équipe. Considérés comme masculins, ces milieux souffrent de nombreux préjugés.

Mais Isabelle Collet affirme que « L'absence des femmes dans le monde digital n'est pas une fatalité ». Par ailleurs, rien dans le syndrome de la Schtroumpfette n’est une fatalité ! Grâce à de nombreuses initiatives engagées, les lignes peuvent enfin bouger.

C'est pourquoi Ada Tech School se bat contre les stéréotypes sexistes qui hantent la tech en devenant la première école d’informatique féministe. Tu souhaites en savoir plus ?


À propos d'Ada Tech School

Ada Tech School est une formation de développeur web en 21 mois. Elle a 3 campus : Paris, Lyon et Nantes. Au sein de l'école, les apprenant·e·s apprennent en faisant grâce à une pédagogie alternative inspirée de Montessori, approchant le code comme une langue vivante et favorisant la collaboration et l’entraide grâce à des projets collectifs. L’école doit son nom à Ada Lovelace, qui fut la première programmeuse de l’histoire.

Après neuf mois de formation, les étudiant·e·s sont opérationnel·le·s et prêt·e·s à réaliser leur apprentissage - rémunéré - pendant douze mois dans une des entreprises partenaires de l’école (Trainline, Deezer, Blablacar, JellySmack, Back Market, ...).

Aucun pré-requis technique n’est exigé pour candidater. Il suffit d’avoir plus de 18 ans. La sélection se fait en deux temps : formulaire de candidature puis entretien avec une réponse sous 2 semaines.